Cet article est le premier article d’une série de 3 articles :
Article 1 : Chronique d’un effondrement annoncé
Article 2 : Le véganisme peut-il nous sauver de l’extinction ?
Article 3 : A quoi bon devenir végane si le monde est foutu ?
Comment répondre à cette question sans balancer des chiffres farfelus ? Allons bon ! La rédaction de Be Veggie se jette à l’eau et se risque à proposer une réponse. Nous allons utiliser la notion d’empreinte écologique, elle nous semble un moyen accessible de comprendre ces enjeux pour le lecteur.
Cet indicateur a été créé par William Rees et Mathis Wakermagel de l’université de Colombie-Britannique et utilisé par les ONG : GlobalFootprint, WWF et ZSL.
Pour faire simple, cet outil didactique permet de comprendre l’impact de l’homme sur la planète. Il consiste à évaluer la surface de terre effectivement utilisée par un individu pour satisfaire son niveau de consommation. Par exemple, en 2014, il fallait en moyenne 7,1 hectares (c’est la sixième plus grosse empreinte au monde !) de terre pour un Belge et 5,26 hectares pour un Français. Cette surface comprend les terres nécessaires pour produire sa nourriture, enfuir ses déchets, absorber ses émissions de carbone, construire son habitation, etcétéra.
Le hic, c’est qu’en moyenne, chaque habitant sur terre a droit à 1,8 hectare (et bien moins à l’avenir), du moins, si nous voulons pouvoir nous enorgueillir de n’utiliser que notre part et pas celle d’autrui et surtout avoir une empreinte écologique neutre par rapport à la dégradation des écosystèmes.
L’empreinte écologique de l’alimentation des Belges ne compte que pour 20% de l’empreinte écologique totale. Nous arrondirons ce chiffre à 30 % pour prendre en compte les émissions de carbone liées à ce secteur et pour prendre large afin de convaincre les lecteurs.
Imaginons que les Belges deviennent tous véganes et considérons qu’ils décident également de manger local et Bio. En étant optimiste, nous pouvons espérer diminuer l’empreinte écologique liée à l’alimentation de 80 %, cela donne une diminution de 24 % de notre empreinte, ce qui est certainement considérable. Il restera 5,4 hectares, tout de même ! Ce qui correspond à un dépassement de 3,6 hectares. Avec ce même calcul, les Français dépasseraient ce seuil de 2,2 hectares par personne.
Une boule bleue, bien trop étroite pour nous tous !
Donc on peut le dire sans hésiter, devenir végane ne peut suffire à sauver la planète ! On s’en doutait avant de faire cette démonstration. À l’évidence un citoyen éco responsable doit prendre d’autres résolutions. Bien entendu, l’élevage de masse est très certainement l’activité humaine la plus préjudiciable pour l’environnement avec un cheptel de plus ou moins 70 milliards d’animaux terrestres à nourrir chaque année, auquel on rajoutera un bon paquet d’animaux marins que nous nous sommes également mis à nourrir. On comprend sans peine que nous ayons un sérieux problème.
Le Docteur Paul Chefurka estime que 90 % de la biomasse des animaux terrestres vertébrés est composée uniquement d’humains et d’animaux d’élevage. Mettez tous les animaux sauvages vertébrés sur une balance, vous constaterez qu’ils ne pèsent qu’un dixième du poids de l’humanité et de son cheptel démesuré. Hallucinant, non ? (1)
Alors on entend de part et d’autre « que ce n’est pas grave », « que la terre peut nourrir 14 milliards de personnes ». C’est certainement vrai aujourd’hui, vu les 30 % de nourritures qui atterrissent directement dans nos poubelles. Mais premièrement, le coût de ce productivisme est la mise à sac de l’environnement et donc de l’avenir des générations futures. Et deuxièmement, on fait quoi avec les 2,7 milliards de nouvelles bouches à nourrir à l’horizon 2050 ?
Vous ajoutez aux paramètres de cette équation : des ressources en eau qui se raréfient, la qualité des sols qui diminuent rapidement, les océans qui se vident et s’acidifient, des épisodes climatiques intenses qui vont ravager les réserves alimentaires de pays entiers.
Si l’on se rapporte à la notion d’empreinte écologique moyenne qui est de 2.6 hectares en 2014 pour un citoyen du monde lambda, notre planète ne peut supporter plus de 4 milliards d’individus. Et les spécialistes de ce genre de calcul considèrent que c’est un chiffre vraiment optimiste (2).
Dans ce domaine, le résultat des recherches du Docteur Fowler (3) est plus préoccupant. Il s’est demandé quelle était la plus grande population humaine qui ne réduirait pas la biodiversité planétaire et il est arrivé à la conclusion que nous sommes 200 fois trop nombreux sur ce petit caillou.
En d’autres termes, il va falloir sérieusement parler de la limitation des naissances. Malheureusement, ce genre de mesures est très difficilement accepté par la société et ses effets ne pourront pas se faire sentir avant des dizaines d’années.
Cependant, il n’est pas sot de diffuser ce message : « si vous n’êtes pas totalement certain de vouloir des enfants, n’en faites pas ! » Si vous voulez absolument donner de l’amour, pourquoi ne pas vous consacrer au bien-être des enfants qui souffrent aujourd’hui de la mauvaise gestion de notre planète, et qui au rythme des naissances actuelles (approximativement une fois la population de la France chaque année) devraient être de plus en plus nombreux.
L’avenir nous réservera certainement de nombreuses causes de désillusions. Pas certain que les nouveaux venus apprécieront ce fardeau.
Tous pour la décroissance
Devenir végane, c’est probablement la décision individuelle la plus significative en terme éthique et du point de vue environnemental. Mais si on veut pouvoir revêtir le costume de justicier et sauveur du monde (si, si, y en a qui aimeraient le porter), il faudra faire mieux que ça !
Il va s’en dire que nous devons considérer toutes les initiatives collectives, locales ou globales allant dans le sens d’une réduction de nos désirs de posséder toujours plus.
Un végane accro de la société de consommation est un tartuffe s’il croit pouvoir donner des leçons aux autres. On ne va pas réinventer l’eau chaude. On connaît les solutions : transport en commun, habitat aux dimensions raisonnables et bien isolé, relocalisation des biens et services, recyclage, récupération, seconde main, collectivisation, achat groupé ! Si on veut utiliser de jolies formules, disons seulement qu’il faut remplacer « le plus avoir » par le « mieux-être ».
Après tout, la psychologie sociale n’a-t-elle pas montré qu’à partir d’un niveau modeste d’équipement et de revenus, le bonheur subjectif individuel est stable et n’augmente pas avec un enrichissement beaucoup plus important. Dans presque tous les pays du monde, pauvre ou riche, la satisfaction globale de vivre est de 80% et l’élément le plus important pour illuminer nos vies est de faire partie d’un groupe chaleureux dans lequel des liens forts et durables peuvent se construire.
Bio ou Végane ?
Voilà un grand débat que nous n’avons pas l’intention d’épuiser. Seulement nous avons envie de mettre les points sur les « i » une fois pour toutes avec ceux qui se satisfont d’une «Junk Food végane».
Avouons que nous n’avons pas de quoi pavoiser si tous nos « faux-mages » à l’huile de coco proviennent de lointaines monocultures arrosées de pesticides ou que nos similis carnés soient emballés dans de grosses barquettes de plastique pour chaque portion de 180 grammes.
Quel sens ça a, de s’offusquer de la mise à mort d’un veau exploité par l’industrie laitière si par nos achats nous faisons grossir des entreprises qui saccagent des écosystèmes entiers, entraînant la disparition de milliers d’insectes, d’oiseaux, de petits vertébrés, de mammifères.
Les véganes qui ne font pas l’effort de passer au BIO n’ont aucune leçon d’anti-spécisme à donner (bien entendu faire son jardin potager est plus éco responsable). Il se peut même qu’un végétarien qui mange entièrement BIO soit au final bien moins critiquable, y compris en termes du nombre d’animaux tués en un an. À moins de considérer que notre compassion se limite aux seules victimes que nos connaissances limitées permettent d’identifier.
Le végane qui n’achète que des produits emballés dans de grosses quantités de plastique doit également se représenter les souffrances des animaux marins qui vivent dans une soupe de plastique.
Ceux qui se focalisent sur le bien-être d’un individu ou d’une espèce sans prendre du recul, sans essayer de se construire un point de vue englobant la complexité du système de production alimentaire, risquent fort de pratiquer le spécisme.
F.Derzelle
Agrégé en Philosophie des sciences
(1) Paul Chefurka
(2) Mais vraiment , « combien durables » sommes-nous ?( Paul Racicot )
(3) Maximizing biodiversity, information and sustainability , Fowler